L'orgue accordé en cinquièmes de ton du Musée Teyler a Haarlem
Pour bien faire comprendre ce qu'est l'orgue accordé en cinquièmes
de ton, il sera utile de diviser notre instrument en trois parties.
L'exposé y gagnera en clarté et concision. Cette division permettra
en effet de faire ressortir méthodiquement les principales différences
qu'offrent les diverses parties de l'instrument d'avec les parties
correspondantes d'un orgue du type ordinaire. Ces trois parties, les voici:
ce sont la console, les sommiers et l'ensemble des tuyaux. Outre ces
trois, il y en a encore une quatrième. Elle a été surajoutée à l'orgue.
Elle consiste en une console supplémentaire qui, extérieurement, ne
diffère pas de la console ordinaire. Elle est rattachée à l'orgue d'une
façon spéciale. Il sera fait mention de cette quatrième partie à la fin du présent article.
1. La console. Elle constitue la partie la plus compliquée de notre
orgue, pour le simple motif qu'elle diffère totalement des consoles
construites jusqu'à présent. Aussi toutes les pièces qui s'y rapportent
ont-elles été conçues dans ce but particulier et sont-elles la production
spéciale de notre atelier.
La disposition des touches ne posait plus de problème, et cela, gràce à
l'invention faite, il y a déjà quelque temps, par M. le professeur Fokker.
Elles sont disposées en plusieurs rangées qui s'alignent sur des hauteurs
différentes (voir la planche no. 1). Dans une des rangées, se trouvent, de
gauche à droite, des touches distantes d'un ton entier les unes des autres:
do : ré : mi : fa : sol : la :
si , etc. Vers l'arrière et un peu plus haut, entre mi et
fa , se trouve la touche du fa, qui fait partie d'une nouvelle
rangée horizontale, comprenant d'un cóté fa : sol : la :
si : do .... et de l'autre fa : mi :
ré : do : si .... Plus en avant et à un niveau
inférieur, également entre mi et fa , se trouve la touche du
mi , à laquelle, sur le même alignement, se rattachent vers la gauche
ré : do : si : la : sol .... et vers
la droite fa : sol : la ..... Pour chaque note
il existe au moins deux touches, pour certaines d'entre elles même trois.
Cependant, cette disposition à des niveaux différents entrainait
précisément de bien sérieuses difficultés. Elle ne permettait pas
l'application, aussi simple que sure, du système, consacré par un long
usage, des contacts excentriques. Il fallait trouver quelque chose qui
fut entièrement différent de tout ce qu'on avait combiné antérieurement,
et comme l'exigeait d'ailleurs le grand nombre des touches.
J'avais d'abord songé à des touches actionnées par leviers. Mais
ce mécanisme s'avérait pratiquement irréalisable à cause du grand
nombre des touches: onze rangées pour chaque clavier. Les leviers
auraient eu une largeur trop restreinte, se seraient superposés les
uns aux autres et auraient, en plus, atteint une longueur démesurée.
Une telle construction paraissait bien trop faible pour donner des
résultats surs. Du reste, elle aurait laissé, sous les claviers, un espace
trop réduit pour permettre à l'organiste d'y introduire les genoux.
Finalement, à force de desseins et d'épreuves, il fut possible de
découvrir un système dans lequel les touches se portent verticalement
vers le bas dès qu'on les pousse: elles ne fonctionnent donc pas
suivant le mécanisme traditionnel. La surface de chaque touche
pouvait être ainsi réduite à 38 × 11 mm², tandis que l'espace sous
la touche, réservé au fonctionnement du ressort et des contacts,
n'exigeait que quelque 9 cm. La touche est fixée sur une barre spéciale
qui descend verticalement (voir la planche no. 2). La longueur
de cette barre augmente suivant que la touche est située à un niveau
plus élevé. Chaque touche est en outre munie de deux tiges ou verges
conductrices qui l'empêchent de tourner sur la barre principale. Le
contact est assuré par un angle en métal fixé sur la même barre. Sous
cet angle sont aménagés les contacts en brosse. Les brosses sont
reliées à un couvercle en "pertinax", qui peut s'ouvrir par en bas.
La touche est maintenue à son niveau normal par un ressort, qui assure
également la transmission du courant vers l'angle.
La profondeur de la chute d'une touche est de 5 mm. La différence
de niveau entre deux touches situées directement l'une derrière
l'autre s'élève à 12 mm, et à 6 mm quand elles s'avoisinent obliquement,
de sorte qu'une touche enfoncée dépasse encore sa voisine de
1 mm. Les touches ont été modelées par M. le professeur Fokker
afin que leur forme offrît un toucher agréable aux doigts.
Chaque clavier est pourvu de 319 touches. Chaque son se rencontre
deux fois, les sons de la rangée antérieure du clavier y figurent
trois fois. La couleur des touches a été adaptée à la couleur traditionnelle
des touches ordinaires. Celles qui étaient blanches autrefois:
do : ré : mi : fa : sol : la :
si, le sont encore. Les noires restent
également des noires, mais elles se rapportent maintenant aux
do : ré : ré : mi :
fa :
sol , etc. Les autres sont bleues:
do-plus : ré minus : ré-plus : mi-minus, etc.
Toutes les pièces de métal sont faites de laiton chromé. Les barres
qui actionnent les touches, de même que les verges conductrices,
sont logées dans du "pertinax", qui est lui-même recouvert d'une
mince étoffe de laine croisée (casimir).
Pour éviter que les touches situées au niveau supérieur du second
clavier ne soient trop éloignées de l'exécutant, on a eu soin de dresser
ce clavier en pente, juste en face de celui de devant. L'inclinaison est
de 4 sur 11 (voir la planche no. 1).

De même que les claviers, le pédalier est muni de 31 touches par
octave (voir la planche no. 3). Mais dans la disposition du pédalier,
et cela contrairement aux claviers manuels, il n'a pas fallu tenir
compte de la différence de longueur des doigts. Il n'était donc pas
requis que chaque son puisse être reproduit par deux touches. A la
pédale on ne rencontre pas non plus le système des touches disposées
les unes directement derrière les autres. Toutes les touches au contraire
sont juxtaposées dans un ordre de rapport avec la disposition
des contacts. Chacune d'elles est pourvue d'une saillie, sur laquelle
on pose le pied. La disposition aussi bien que le niveau de cette
saillie ont été combinés de façon qu'il en résulte un modèle ressemblant
à peu près à celui des claviers.
La hauteur choisie est telle, que le pédalier, vu dans son ensemble,
présente une forme cylindrique. L'axe de cette espèce de cylindre
passe par les genoux de l'organiste et s'étend parallèlement aux claviers.
Contrairement à l'usage établi, les touches du pédalier pivotent
par devant. Cela s'impose du fait que certaines touches présentent
la particularité d'être mues par derrière.
La largeur de la console ne permettait pas que l'étendue du pédalier
dépasse le son fa. Le pédalier possède donc 45 touches (presque
une octave et demie).
La forme donnée aux registres est celle de boutons qu'on peut
tirer. On les trouve rangés de part et d'autre du clavier. A gauche:
les registres de la pédale et les tirasses. A droite: les registres des
deux claviers et l'accouplement.
En voici la disposition:
Pédale | Manual | Manual II
| Soubasse 16' | Quintaton 8' | Salicional 8'
| Gedekt 8' | Prestant 4' | Flûte à cheminée 4' |
Tirasses: P + I; P + II. Accouplement: I + II.
Un jeu de deux pieds eut été préférable à la flûte à cheminée p. ex.
Toutefois on y a renoncé, parce que la stabilité de l'accord constitue
ici l'élement le plus important.
Cinq câbles avec un total de 377 branchements mettent la console
en communication avec l'orgue.
2. Les sommiers. Les sommiers sont semblables à ceux du type
ordinaire. La seule différence consiste en ce que le nombre des
tuyaux qui doivent y prendre place, est plus grand que de coutume.
Un seul sommier aurait eu une longueur exagérée. C'est pourquoi on
les a partagés en trois parties d'une longueur à peu près égale.
Ces pièces renferment les tuyaux suivants: Do - do-minus;
do-sol';
et sol'-plus-sol"'. La Soubasse dispose également de trois sommiers:
Do-do; do-plus-fa; et fa-plus-fa'. Ce dernier élément à été
surajouté en considération de la console supplémentaire déjà mentionnée.
Chaque sommier a son régulateur propre. En fait d'adduction de
vent, ils ne peuvent donc pas s'influencer mutuellement. C'est le
soufflet qui alimente la Soubasse.
3. Les tuyaux. La détermination des mesures des tuyaux a été le
résultat de nombreux et fatigants calculs. Le fait qu'il fallait remplacer
la division en 12 de l'octave par la division en 31 entraînait la
nécessité de calculer séparément les dimensions de chaque tuyau.
L'accordage des tuyaux donna lieu à des difficultés plus sérieuses
encore. Il est peut-être possible d'accorder les intervalles suivant
leurs justes proportions par un simple recours à l'oreille. Si l'on y
réussira, ce ne sera qu'après un long et laborieux exercice. Mais les
fautes commises auront des conséquences bien plus préjudiciables
que dans l'accordage d'après la division en 12, parce que ces méprises
se répéteront ici jusqu'à 31 fois.
Selon les quelques expériences faites, l'influence mutuelle des
tuyaux a paru si importante que, rapporté aux intervalles pratiquement
purs, qui se présentent ici, l'accordage exécuté d'oreille n'est
guère réalisable. On a donc été contraint d'accorder suivant une
méthode spéciale et qui consiste à ne faire résonner qu'un tuyau à
la fois tandis qu'on reproduit le ton de comparaison à l'électricité.
Or, le seul moyen qui permet d'accorder avec justesse a été obtenu
par le travail combiné d'un générateur de sons et d'un oscillographe électronique.
On accordera suivant un cercle de tierces tempérées avec le con-cours
du Prestant 4'. À la rigueur, on aboutirait aussi avec un cercle
de quintes. Néanmoins, l'exactitude de la mise au point est plus
grande chez les tierces, parce que les battements y sont beaucoup plus lents.
Il s'agira d'abord de calculer les fréquences des sons dans l'octave de
do : do' du Prestant 4'. On s'appliquera aussi à découvrir la
différence de fréquences entre deux tons qui forment respectivement, avec le
ton précédent du cercle, une tierce parfaite et une tierce tempérée de 10/31 de
l'octave.
À supposer notamment que la fréquence d'un son soit N, celle de
la tierce parfaite sera de 1,25 N et celle de la tierce tempérée de
210/31 N = 1,2506 N. La différence, 0,0006 N,
indiquera la différence qu'il fallait découvrir. Il en résulte la durée d'un
battement pour ces deux sons.
Voici maintenant la marche à suivre:
1) On accordera le tuyau "la" à 440 Hz (15°C);
2) On mettra au point le générateur des sons sur le do pur (une sixte
parfaite plus bas). On obtient la mise au point de ce son en mettant le signal
du générateur sur l'inclinaison horizontale de l'oscillographe et en appliquant
à l'inclinaison verticale le microphone, qui recueille le son du tuyau. La mise
au point s'effectue alors de façon que la figure de Lissajous, qui vient
de se produire, reste immobile.
3) On accordera le tuyau do de manière que la fige urde
l'oscillographe ait l'occasion de faire un tour pendant le temps calculé. On
répète le même procédé, en prenant le tuyau do comme point de départ,
pour obtenir l'accordage du tuyau mi , soit fa-minus. De la même
façon on accordera successivement la-minus, do-plus,
mi-plus, la , do, mi, etc., jusqu'à ce qu'on
arrive de nouveau au tuyau la, après avoir parcouru les 31 degrés.
Pendant que s'effectue ce cercle de tierces, il y a encore moyen de faire
quelques expériences de contrôle par rapport au sons qui constituent un autre
intervalle avec le son de départ la. Tels p. ex. mi (quarte),
si-plus (supraseconde), etc. On peut encore à l'égard de ces sons,
calculer et, partant, contrôler la différence de fréquence existant entre
l'intervalle parfait et l'intervalle tempéré. Grâce à ce contrôle on sera à
même de s'enquérir déjà pendant l'accordage, si tout marche comme il faut.
L'accordage des tuyaux concernant les autres octaves se pratique comme
auparavant: on compare notamment le tuyau qu'on veut accorder, avec un son qui
est plus aigu ou plus grave, soit d'une, soit de plusieurs octaves, et qui
émane de la région déjà accordée à l'aide des deux instruments mentionnés plus
haut.
Les autres jeux, on les accorde comme de coutume, l'un après l'autre, au moyen
du Prestant 4'. Le contrôle final peut porter sur le fait que les cinquièmes de
ton, en parcourant un jeu, doivent constamment battre plus vite, quand on
continue d'actionner deux tuyaux immédiatement voisins.
4. La console supplémentaire. On l'a ajoutée exprès afin de permettre
aux organistes qui ne savent pas manier la console complète,
de jouer l'orgue quand même.
Il s'agit d'une console munie de claviers et d'un pédalier ordinaires.
Mais elle est reliée à une "armoire sélective", qui se trouve engagée
dans l'orgue. Cette armoire a comme fonction de veiller à ce que
telle ou telle série de tuyaux, constituant une famille déterminée de
sons (un "genre musical" au sens d'Euler), puisse être mise en
contact avec les touches de la console. Il suffit pour cela qu'on presse
l'un des boutons de la console. On peut ainsi mettre en jeu 12 des 31
tuyaux pour chaque octave. La pression du bouton a pour effet
qu'une petite lampe-témoin s'allume et indique par sa lueur rouge
la série de tuyaux qui va résonner.
Des 9 fiches, rangées sur la console, 8 correspondent à autant de
sélections ou familles de sons spéciales. Quant à la neuvième série on
peut la sélectionner à volonté au moyen de petits commutateurs
dans l'armoire sélective (voir planche no. 4). Par la neuviéme fiche
la console supplémentaire est mise en relation avec l'orgue par
l'intermédiaire des dits commutateurs.

Comme la console en question a été construite d'après les dimensions
normales, il s'ensuit que le pédalier possède 30 touches, c'est à dire
presque deux octaves et demie. Dans l'orgue la Soubasse ne comprenait
que 45 tuyaux, c'est à dire presque une octave et demie. De ce fait,
pour que la console supplémentaire présente un usage pratique complet,
il était nécessaire de l'enrichir d'une octave de Soubasse. Le
nombre des tuyaux de la Soubasse montait par là jusqu'à 76. Cette
addition fit entrevoir également la possibilité d'ajouter à la pédale
de la console complète un jeu de transmission: c'est le Gedekt 8',
cité plus haut.
Récapitulation. L'orgue est accordé en cinquièmes de ton. En
d'autres mots, l'octave a été divisée en 31 parties au lieu de 12.
Le nombre des tuyaux de l'orgue s'élève à:
pour | le Quintaton 8' | 143 tuyaux
| " | " Prestant 4' | 143 tuyaux
| " | " Salicional 8' | 143 tuyaux
| " | " Flûte à cheminée | 143 tuyaux
| " | " Soubasse 16' | 45 tuyaux
| " | l'octave supplémentaire | 31 tuyaux
| | |
| | Au total: | 648 tuyaux |
L'addition de l'octave supplémentaire s'imposait à cause de la
console supplémentaire. Elle fait en même temps fonction d'octave
supérieure du Gedekt 8'.
Le nombre des touches de chaque clavier s'élève à 319, celles du
pédalier à 45. Chaque note se rencontre deux fois aux claviers
manuels, celles de la rangée antérieure y figurent trois fois.
La console supplémentaire est pourvue d'une installation qui permet d'emprunter
8 sélections différentes aux 31 tuyaux par octave. La neuvième sélection peut
être modifiée à volonté. Les 8 sélections fixes représentent les familles,
caractérisées par les symboles d'Euler:
[3³.5²], [3².5³], [5³.7²], [3³.7²],
[5².7³], [3².5.7], [3.5².7], [3.5.7²].
Ir B. J. A. Pels, le 25 mai 1950.
Atelier de construction d'orgues, Alkmaar, Pays-Bas
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